1900 - 1966
Efo DJOUMESSI Mathias
La vie du chef DJOUMESSI ne peut être mieux cernée qu’à travers deux dimensions : politique et religieuse ; II entre en politique en 1946 comme Délégué à la première Assemblée Représentative du Cameroun. Six Camerounais sont membres de cette Assemblée au sein de laquelle il représente les régions Bamiléké, Bamoun, du Mbam, du Mungo et du Nkam. Pendant quinze ans. il sera tout à tour Délégué. Conseiller et Député à l’ARCAM. En 1947, il créa et dirigea jusqu’en 1963 le Kumze, Association Culturelle et Politique qui a œuvré pour la revalorisation des langues et de l’identité socioculturelle des Bamiléké et a contribué de façon significative à la libéralisation du Cameroun. II dut se rapprocher de l’UPC pour bénéficier du soutien d’un mouvement politique plus fort ; et, en 1943 il est le tout premier président de l’UPC dont Ruben Um Nyobe est le Secrétaire Général. Il démissionne de ce poste et du parti pour marquer son opposition au moyen préconisé pour se libérer du joug colonial, à savoir la lutte armée. Il expliqua alors qu’il “ne pouvait être le conducteur d’une voiture sans freins”; qu’il “avait des œufs à protéger et le vendeur d’œufs ne provoque jamais des bagarres au marché”. En fait, DJOUMESSI Mathias pensait qu’on pouvait accéder à l’indépendance sans violence ; aussi l’Eglise catholique l’invitait elle à agir de la sorte. C’est, selon cette logique1 qu’en dépit des protestations de certains de ses amis politiques, il constitua une liste avec un français, Monsieur LAGARDE Marcel, pour montrer que la haine contre le colonialisme n’était pas la haine contre le blanc ; Cette finesse dans la démarche ne l’a pas cependant soustrait à la suspicion des colons qui continuaient à le taxer de révolutionnaire. Cela lui valut au moins cinq détentions préventives, mais sans condamnation. En 1958 DJOUMESSI Mathias est Ministre d’Etat dans le tout premier gouvernement camerounais que dirige André Marie Mbida. Il est ministre résidant à Dschang en 13GO ??? dans le gouvernement de Monsieur Ahmadou Ahidjo et organise victorieusement la résistance contre les maquisards. Dès 1925, il s’est penché sur le problème social de l’habillement des femmes, contribué à atténuer les rigueurs des rites de veuvage, engagé la libération des populations du joug des chefs traditionnels, s’est attaqué à certaines pratiques et coutumes rétrogrades. Sur le plan économique, DJOUMESSI Mathias a œuvré pour la modernisation de l’agriculture : adoption de nouvelles méthodes culturales. Introduction de nouvelles variées de cultures, et de la culture attelée, il a aussi engagé un véritable combat pour la libéralisation de la caféiculture. Il s’éleva enfin contre le raisonnement des produits comme le savon, le sucre, le sel. Le pétrole ou l’alcool, etc. Il créa en 1948 une Coopérative de Collecte et de Vente des produits, la COOP-COLV, ancêtre de l’actuelle Union des Coopératives de Café Arabica de l’Ouest (UCCAO) dont il fut l’un des administrateurs. A sa mort il était encore membre de la Chambre d’Agriculture du Cameroun et Président de la COOPCOLV. Sur le plan religieux, DJOUMESSI Mathias est baptisé en 1921, el s’est engagé comme moniteur catéchiste et auxiliaire de missionnaires blancs. Devenu chef, il tente d’opérer une symbiose entre la religion catholique et les religions traditionnelles africaines. Car, pensait-il, les deux religions recèlent des valeurs certaines. En conservant des éléments de la religion traditionnelle compatibles avec le Christianisme, le chef DJOUMESSI apparaît comme un précurseur de l’inculturation qui interpelle l’église aujourd’hui. Il s’est marié à l’église une première fois en 1924 avec Catherine MAPAMO ; il dût ensuite, en raison de ses contraintes coutumières et des épreuves de toutes sortes, vivre une expérience polygamique. Optant définitivement pour la monogamie, il se remarie deux autres fois, à Mélanie DJIA (1936) et à Julienne MAMEKONG (1940) après les décès, chaque fois, de la précédente épouse. Son nationalisme et son engagement politique lui ont valu l’excommunication par Monseigneur Paul SOUQUE en 1950. Cela ne l’empêcha pas d’assister régulièrement à la messe dominicale avec sa femme et ses enfants. En 1954, son excommunication sera levée. Alors qu’il fête ses noces d’argent avec sa troisième épouse il éprouve un malaise. Après vingt jours de maladie, il décède à l’Hôpital de Dschang, le dimanche 1er mai 1966. Il repose depuis Ie 05 mai 1966 au caveau royal à Lifem-Zwenlah. Toutes ses croisades lui ont permis d’être titulaire des mérites Indigènes de troisième, deuxième et première classe. Officier de l’Académie, Chevalier de l’Etoile Noir du Bénin, Chevalier de l’Ordre National de la Valeur. En gros voilà un tout petit peu les grands traits la vie de DJOUMESSI Mathias: chrétien, chef traditionnel, nationaliste. Seulement, écartelé par les exigences de cette partie à trois dans la même personne, il dût choisir l’église et l’Etat au risque de sacrifier quelque chose ; le Groupement et ses traditions en pâtirent fortement. En fait, la vie de DJOUMESSI Mathias était entièrement vouée au Christ ; Il s’employa à évangéliser sa chefferie. On l’a vu à l’œuvre, luttant contre les traditions “rétrogrades”, affrontant les notables féticheurs et les prêtres indigènes kougang ???, confiant l’éducation de ses enfants aux religieux, essayant de constituer autour de la chefferie une communauté chrétienne fervente, contribuer à créer la paroisse Saint Augustin de Dschang, assister aux offices religieux et recevoir les sacrements… Il est constant que DJOUMESSI Mathias est un de ces grands hommes que l’Histoire ne produit pas tous les jours. Dommage que les historiens borgnes ne le citent que rarement au Cameroun, car comment, peut-on l’ignorer quant on évoque l’histoire de l’UPC ? Comment peut-on oublier qu’il a crée dans les années 1930 la toute première école en langue bamiléké qui, à son temps, délivrait l’équivalent du CEPE (mbô) ? Que l’alphabet en usage est précurseur de la langue yemba d’aujourd’hui ? Qu’il a composé l’hymne du groupement et traduit l’hymne camerounais en langue vernaculaire ? Peut-être DJOUMESSI Mathias a-t-il difficilement concilié les influences contradictoires, chacune aussi puissante que l’autre, qui s’exerçaient sur lui : d’un côté, celles des missionnaires catholiques et des chefs de l’Administration coloniale dont les actions étaient complémentaires et convergentes, de l’autre côté celles des chefs traditionnels et des notables Bamiléké qui le considéraient comme un chef déviationniste et comme une menace pour l’avenir de leurs coutumes ancestrales. Peut-être est-œ pour cela que ses ennemis politiques de tous bords n’ont pas raté l’occasion de faire boire une potion amère au Groupement qu’il a su faire rayonner pendant plus de quarante ans ; toutefois parce qu’il a mené le bon combat, celui pour le bien-être de l’homme et de la société de son temps, DJOUMESSI Mathias n’est pas mort dans l’esprit de ceux qui l’ont connu, ont vécu et partagé sa foi en l’avenir du Cameroun, ou ont été instruits sur sa vie ; II n’est même pas mort du tout car, seul l’oubli constitue la véritable mort.
